L’augmentation des
observations de rolliers en ce mois d’août 2014 dans des départements
non méditerranéens est liée à l'expansion de l'espèce en France.
Le Rollier d'Europe (Coracias garrulus) est un bel oiseau migrateur
qui niche dans des régions aux étés chauds. Il recherche des paysages
variés, composés de différents types de milieux (forêts claires,
oliveraies, ripisylves, friches, prairies de fauche, cultures,
steppes...). Son aire de répartition s'étend de la péninsule ibérique au
nord-ouest de la Chine en passant par la Turquie et la Russie. Il
hiverne en Afrique tropicale. La population reproductrice du
Paléarctique occidental (Europe, Afrique du Nord, Moyen-Orient) est
comprise entre 55 000 et 117 000 couples, la Russie, la Turquie, la
Roumanie, la Bulgarie, l'Espagne et l'Ukraine accueillant les plus gros
contingents.
L'espèce est globalement en déclin en Europe : il a
déjà disparu de plusieurs pays comme le Danemark, la Finlande, la Suède,
l'Allemagne ou la République tchèque, et sa population continue de
baisser dans d'autres comme le Portugal, la Lettonie, la Russie ou
l'Ukraine. La France est l'une des rares nations du continent où le
nombre de couples augmente : il est actuellement compris entre 800 et 1
000.
La multiplication des observations de rolliers
(souvent des jeunes) en ce mois d'août 2014 dans des départements non
méditerranéens (Jura, Côte-d'Or, Ain...), est liée à cette croissance.
Après
une présentation de l'espèce, nous évoquerons le déclin de l'espèce en
Europe, le cas particulier de la France et les causes possibles de ces
tendances.
Le Rollier d'Europe (Coracias garrulus)
Aire de répartition du Rollier d'Europe (Coracias garrulus). En rouge, la zone de nidification et en bleu, la zone d'hivernage. Carte : Ornithomedia.com |
Longueur : 29 - 32 cm.
Envergure : 59 - 73 cm.
Description : oiseau
coloré trapu de la taille d'un petit corvidé avec un bec fort sombre au
bout crochu. Son plumage est bariolé composé de bleu turquoise sur la
tête et le dessous, de bleu outremer sur les épaules, de brun-roux sur
le dos et de noir à l'extrémité des ailes.
Le mâle et la femelle
sont identiques. Les jeunes de l'année ont une coloration générale moins
vive, brun-verdâtre à vert-de-gris.
Deux sous-espèces sont reconnues :
- C. g. garrulus
de la péninsule ibérique au sud-ouest de la Sibérie en passant par
l'Afrique du Nord, l'Europe centrale et orientale et la Turquie
- C. g. semenowi de l'Irak et de l'Iran au nord-ouest de la Chine.
Les rolliers hivernent au sud du Sahara, de l'est du Sénégal au Cameroun et de l'ouest de l'Éthiopie jusqu'au Congo et à l'Afrique du Sud.
Voix : "rak-rak" durs répétés (écoutez un enregistrement) en cas d'alarme et "kreeh-kreeh" stridents pendant la parade (écoutez un enregistrement).
Biologie : le
Rollier d'Europe niche dans des cavités naturelles (arbres, falaises
friables) et artificielles (bâtiments, nichoirs). Il utilise souvent les
trous creusés par le Pic vert (Picus viridis) dans les
peupliers. Il peut former des semi-colonies dans les habitats les plus
favorables (ripisylves). Son régime alimentaire est composé
principalement d’insectes de taille moyenne ou grande (orthoptères et
coléoptères principalement), mais aussi (rarement) de reptiles, de
petits mammifères et d'oiseaux. Il chasse à l’affût depuis une branche
haute, un fil électrique ou un poteau, puis fonce sur sa proie en rasant
le sol, comme les pies-grièches.
C'est une espèce migratrice qui
hiverne en Afrique tropicale. Il revient sur ses sites de nidification à
partir de la fin avril. La parade nuptiale est bruyante et
spectaculaire et a généralement lieu en mai. La femelle pond entre la
fin mai et le début de juin, les éclosions se produisent de la fin juin
au début du mois de juillet, l'envol des jeunes a lieu en juillet, et la
migration de retour se déroule entre août et septembre.
Habitats : le
rollier se reproduit à faible altitude (plaines, collines). Il niche
dans des secteurs ouverts composés de différents milieux offrant à la
fois des sites pour nicher et des zones pour chasser : vergers,
ripisylves, friches, vignobles, cultures, pâturages, steppes, prés
salés, garrigue ou sansouires (= prairies halophiles composées
principalement de salicornes). Il hiverne dans les savanes et les zones
buissonneuses.
Août-septembre, une bonne période pour voir des rolliers
Aire
de répartition du Rollier d'Europe en France (rouge), avec les axes
d'expansion (flèches marron). En jaune, les départements (avec leur
numéro) où au moins un Rollier d'Europe a été vu en août 2014. Carte : Ornithomedia.com d'après François Tron et al |
Les mois d'août et de septembre sont certainement les meilleurs pour
observer le rollier, y compris dans des régions situées en dehors de
l'aire de répartition habituelle (voir une vidéo d'un Rollier d'Europe filmée à Savranges en Côte-d'Or en août 2013).
C'est le cas en France en ce mois d'août 2014 : des oiseaux, souvent
jeunes, ont ainsi été notés jusqu'en Isère, en Savoie, en Haute-Savoie,
dans le Jura en Côte-d'Or, dans le Rhône et dans l'Ain (voir une synthèse de données dans notre rubrique Observations).
Après
la saison de reproduction, les rolliers rejoignent souvent des zones
riches en nourriture comme les plateaux de Sault (Aude), de Valensole
(Alpes-de-Haute-Provence) et de Lannemezan (Hautes-Pyrénées), les
collines de la Piège (Aude) ou le sud du massif entral (Tarn, Aveyron,
Lozère).
Lors de leur migration post-nuptiale, des oiseaux se
rassemblent parfois en groupes pouvant compter des dizaines d'individus
et forment alors en fin de journée des dortoirs comme les Faucons
crécerellettes (Falco naumanni) (lire Les dortoirs de Faucons crécerellettes dans le sud de la France). Les deux espèces ont d'ailleurs déjà été vues chassant dans les mêmes endroits dans le sud de la France.
En
Espagne, les rolliers se dispersent entre juillet et septembre dans
tout le pays jusque dans les communautés autonomes du Nord-ouest
(Asturies, Cantabrie, Navarre), et chassent en particulier les criquets.
Un déclin généralisé en Europe
Le Rollier d'Europe est en déclin dans une grande partie de son aire
de répartition européenne. Il a déjà disparu du Danemark, de Finlande,
de Suède, d'Allemagne, de Slovénie, de République tchèque et d'Estonie
(50 à 100 couples en 1998, aucun en 2004). Après une baisse modérée
durant la période 1970 - 1990, la diminution a été de 25 % sur la
période 1990 - 2000. Ses populations baissent en Pologne, en Autriche,
en Lettonie (des milliers de couples autrefois contre 30 en 2004), en
Lituanie (1 000 à 2 000 couples dans les années 1970 contre 20 en 2004),
en Ukraine (disparition dans plusieurs régions dans le nord), en Russie
(il a disparu dans le nord), en Italie, au Portugal (disparition de
différentes régions), en Albanie et en Slovaquie.
En Espagne, qui
compte environ 6 000 couples, la tendance est aussi globalement négative
et l'aire de répartition s'est fragmentée au cours de la dernière
décennie. En Catalogne par exemple, il ne reste que 120 à 150 couples
concentrés autour de Lleida (lire L'étang d'Ivars i Vila-Sana et les steppes de Lleida).
Dans la vallée de l’Alberche, dans la province de Madrid, la population
est passée de 56 couples à 0 entre 1969 et 1984. Dans la province
d'Alicante, seuls 20 couples subsistent. Mais en Aragon, la population
de la vallée de l'Ebre, comprise entre 30 et 40 couples, est en
expansion vers le sud-ouest. Elle augmente aussi en Estrémadure grâce à
la pose de nichoirs.
La population est stable en Roumanie depuis 30 ans. C’est le cas aussi en Arménie, en Azerbaïdjan (voir une vidéo d'un couple nichant dans ce pays) et en Hongrie.
Dans
de très rares pays européens, l'espèce est en augmentation : c'est le
cas de la Bulgarie (légère hausse), de Chypre (légère hausse), de la
Serbie (légère hausse) et surtout de la France. Dans l'hexagone, le
nombre de couples est passé de 500 - 600 en 1995 à 800 - 1000
actuellement.
En Afrique du Nord, où subsistent de grandes
populations, l'évolution n'est pas connue. Le rollier ne niche plus dans
certaines régions de Turquie, mais l'espèce serait stable en Asie
centrale.
Les causes du déclin
Rollier d'Europe (Coracias garrulus) dans un habitat typique dans le parc national de de Las Tablas de Daimiel (Castille-La Manche) Source : image extraite d'une vidéo publiée par Sastreceramica |
Les causes de ce déclin sont variées et se combinent souvent :
- destruction des sites de nidification (cavités) : haies, ripisylves, oliveraies, amanderaies, vieux arbres isolés...
- disparition des zones d'alimentation (steppes, prairies);
- intensification de l'agriculture (irrigation, monocultures, épandage de produits chimiques) qui diminue le nombre d'insectes;
- empoisonnements liés à l’utilisation de produits phytosanitaires et vétérinaires;
- électrocution;
- chasse dans certaines régions que l'espèce traverse durant sa migration, comme Oman ou l'Inde;
- en Europe centrale, le changement climatique, qui entraîne une
augmentation des précipitations estivales, pourrait contribuer à la
désertion de certains territoires, tandis que dans l'extrême sud comme
l'Andalousie, la succession des sécheresses (accompagnée souvent d'une
multiplication des incendies) provoque un appauvrissement des
écosystèmes.
En Espagne, l'urbanisation, l'irrigation des zones steppiques, les
incendies, la disparition des friches et l'usage de pesticides sont les
principales causes mises en avant par la SEO/BirdLife (Sociedad Española de Ornitología) pour expliquer la disparition de l'espèce de plusieurs régions.
Des solutions sont possibles
Il existe des solutions pour arrêter voire inverser la baisse :
- réaliser un inventaire précis des populations et de leur répartition;
- protéger les milieux les plus menacés : steppes, sansouires, ripisylves, falaises sablonneuses;
- empêcher l'intensification de l'agriculture : mesures
agri-environnementales pour conserver les prairies, les friches et les
haies, diminution des aides à l'irrigation, favoriser l'élevage extensif
et l'agriculture biologique;
- limiter l'urbanisation des zones les plus importantes;
- interdire l'usage de pesticides dans les secteurs les plus sensibles;
- favoriser une sylviculture durable (conserver les vieux arbres, protéger les forêts claires mâtures);
- favoriser la restauration voire la plantation de vergers;
- sensibiliser les agriculteurs, les propriétaires fonciers, les
aménageurs, les sociétés de distribution de l'électricité, les agences
gouvernementales;
- sécuriser les pylônes électriques pour éviter l'électrocution;
- poser des piquets et des perches (qui serviront de postes de chasse)
dans les endroits où ils sont rares près des sites de nidification (une
étude menée dans l'est de l'Autriche entre 2002 et 2004 a montré que
les pylônes étaient très utilisés comme perchoirs durant la période de
nidification);
- favoriser la pose de nichoirs : cela a bien fonctionné en
Estrémadure (Espagne) entre 1986 et 1994 et dans plusieurs départements
français (Pyrénées-Orientales, Aude, Hérault, Gard, Bouches-du-Rhône).
Le Rollier d'Europe niche volontiers dans les nichoirs ayant déjà été
utilisés par les Faucons crécerellette et crécerelle (F. tinnunculus).
Toutes ces mesures serviront aussi à d'autres oiseaux des milieux ouverts comme la Huppe fasciée (Upupa epops) la Chevêche d'Athéna (Athene noctua), les pies-grièches...
La situation particulière de la France
Rollier d'Europe (Coracias garrulus) juvénile, côtes de Biaud, Périgneux (Loire), le 29/08/2014. Photographie : Philippe Marochon |
En France, le Rollier d'Europe niche dans la plupart des départements
méditerranéens : Ardèche (rare), Drôme (encore rare),
Pyrénées-Orientales, Hérault, Gard, Vaucluse, Bouches-du-Rhône et Var,
et il colonise de nouveaux territoires vers le nord (dans les
départements Ardèche, Drôme, Vaucluse) et le sud-ouest (dans les
Pyrénées-Orientales). La population hexagonale a nettement augmenté
entre 1995 et aujourd'hui, passant de 500 - 600 à 800 - 1000 couples.
Plusieurs bastions sont connus :
- la plaine de la Crau (Bouches-du-Rhône) (lire Une carte des bons spots du cœur de la Crau à télécharger)
- les marais entre la Crau et la Camargue, comme ceux du Vigueirat (lire Observer les oiseaux dans la réserve naturelle des marais du Vigueirat)
- la vallée des Baux (Bouches-du-Rhône) accueille de 80 à 100 couples;
par exemple, sur les 85 hectares du marais de l'Ilon situé entre les
Alpilles et la Crau, dix couples ont été recensés en 2001, soit une
densité de 12 couples par km², la plus forte d'Europe occidentale
- la Camargue (Bouches-du-Rhône) (40 couples)
- les environs de Lambesc et la basse vallée de la Durance (Bouches-du-Rhône) (100 couples)
- la plaine du Roussillon (Pyrénées-Orientales) (50 couples)
- la basse plaine de l’Aude (Aude) (15 couples)
- la vallée du Lez (Hérault) (30 couples)
- la plaine des Maures (Var)
- les bords de l’Argens (Var)
- le secteur de La Verdière (Var).
Jeune Rollier d'Europe (Coracias garrulus) : notez la couleur générale plus terne, plus verdâtre que l'adulte. Photographie : Sumeet Moghe / Wikimedia Commons |
La multiplication en août-septembre du nombre de données
post-nuptiales en dehors de l'aire de répartition habituelle de
l'espèce, comme c'est le cas cette année, est une illustration de
l'expansion de cet oiseau en France. Ces observations préfigurent de
possibles installations futures de couples, comme cela a été constaté
dans la Drôme et le Vaucluse.
Les raisons possibles de l'augmentation de la population française de rolliers
Il est difficile d'expliquer de façon précise les raisons du
dynamisme français qui tranche avec la situation négative de la plupart
des autres pays européens. La pose de nombreux nichoirs entre 2000 et
2007 a certainement contribué à cette expansion, de même que le
développement (encore limité) d'une agriculture consommant moins de
produits chimiques. Mais selon le site web de l'Observatoire Naturaliste des Écosystèmes Méditerranéens (ONEM),
l'arrachage massif de vignes dans le Languedoc-Roussillon entre 1988 et
2000 (59 800 hectares) et entre 2005 et 2011 (41 000 hectares), qui ont
en grande partie été remplacées par des friches riches en nourriture,
serait l'explication principale.
L'apport d'oiseaux espagnols, venus
en particulier des régions les plus méridionales (Andalousie) qui ont
été touchées par des sécheresses successives depuis plusieurs années
pourrait avoir joué un rôle (on assiste en effet depuis plusieurs années
à une augmentation des données en août et en septembre en Cantabrie et
dans les Asturies, ce qui est peut-être le prélude à un "glissement" de
l'aire de répartition vers le Nord).
Mais malgré l'expansion
numérique et géographique de l'espèce en France depuis une quinzaine
d'années, celle-ci reste rare et dépendante des bonnes pratiques
culturales et pastorales. Et elle est menacée par le développement de
l'urbanisation et de l'agriculture intensive.